"Henriette : Grand'mère, comment faisaient les Apôtres pour vivre ? Ils n'avaient pas un sou, et pourtant il fallait bien manger et se vêtir.
Grand’mère : Les fidèles riches avaient soin de leur donner le nécessaire ; dans ce temps-là, les Chrétiens riches n'étaient pas égoïstes et indifférents pour le service de Dieu, comme le sont malheureusement beaucoup aujourd'hui ; ils donnaient beaucoup et ils avaient soin de pourvoir aux nécessités des prêtres et des pauvres.
Madeleine : Mais à présent, Grand'mère, il me semble qu'on donne beaucoup.
Grand’mère : Non, chère petite. Les petites fortunes donnent plus que les grandes ; mais généralement on donne très peu, trop peu en proportion de ce que l'un a.
Élisabeth : Et quelle est la proportion dans laquelle on doit donner, Grand’mère ?
Grand’mère : C'est assez difficile à déterminer, chère petite ; pourtant il y avait jadis une règle établie ou plutôt conseillée par l'Église, qui était de donner pour les choses de bienfaisance, le dixième de son revenu ; on ne l'observe plus maintenant ; dans les temps anciens, tout le monde y obéissait. Au temps actuel, il y a des familles qui vivent de leur travail et qui ne pourraient pas donner le dixième de leur revenu. Tu penses qu'un ouvrier qui gagne six ou huit cents francs par an, et qui a une femme et des enfants à nourrir, ne peut pas prendre là-dessus soixante à quatre-vingts francs, sous peine de manquer de pain ou de vêtements ; il donnera beaucoup en donnant dix francs ; tandis que l'homme qui a quatre-vingt mille francs de revenu ne donne pas assez en en donnant huit mille, et celui qui a quatre ou cinq cent mille francs de revenu ne donne pas assez en donnant cent mille francs.
Mais pour en revenir à saint Paul, lui et les Chrétiens pauvres vivaient de ce que leur donnaient les riches. Dans ce temps de véritable fraternité, les pauvres ne craignaient pas d'être repoussés ; les riches venaient au-devant de leurs besoins ; ils envoyaient à la recherche des nécessiteux, et ils ne se contentaient pas de leur envoyer une aumône, ils continuaient à les secourir sans jamais se lasser. Au reste, les pauvres comme saint Paul n'abusaient pas de la générosité de leurs frères ; ils vivaient de très peu et ils étaient pauvrement vêtus.
Saint Paul était, comme nous l'avons vu, logé dans une maison qui est maintenant une église souterraine. Il y resta deux ans. Au bout de ce temps on lui rendit la liberté ; il en profita pour faire de nouveaux voyages et fonder de nouvelles Églises. Plusieurs auteurs anciens, entre autres Saint Jean Chrysostome, croient qu'il a été en Espagne, comme il en avait témoigné le désir, et enfin en France, où il fonda, croit-on, les Églises d'Arles, d'Avignon, de Vienne et de Narbonne.
Valentine : Comment ! Il a été à Vienne ? Mais ce n'est pas en France.
Grand’mère : Vienne, capitale de l'Autriche, n'est pas en France, mais Vienne en Dauphiné est dans le midi de la France et pas éloigné de ces autres Églises établies par saint Paul.
Il resta absent pendant huit ans, après lesquels il revint à Rome où régnait le cruel Néron. Saint Paul réussit à convertir plusieurs personnes d'un rang élevé ; ce fut alors que Néron le fit saisir et jeter dans la prison Mamertine où était déjà saint Pierre. Ils en furent retirés ensemble le vingt-neuf juin pour être exécutés, selon la condamnation que venait de prononcer Néron au retour de son voyage à Antioche.
Les soldats emmenèrent les Apôtres, mais quand le peuple vit qu'on les menait au supplice, il se fit un grand tumulte et on se mit à crier qu'il n'y avait que trop de sang chrétien répandu déjà. Les soldats, forcés de ramener leurs prisonniers, firent comparaître saint Paul devant Néron. Celui-ci, furieux de le voir encore vivant, s'écria :
« Qu'on enlève, qu'on fasse disparaître de la terre ce malfaiteur ! C'est lui qui sème le trouble partout. Qu'on lui tranche la tête ! Il est indigne de vivre. »
Paul répondit : « Néron, mon supplice sera court ; mais je vivrai éternellement avec mon Dieu, Jésus-Christ, qui viendra juger le monde. »
Néron, plus furieux encore, dit à ses officiers : « Hâtez-vous de lui trancher la tête, et lui qui croit avoir une vie éternelle, qu'il comprenne que c'est moi qui suis le maître invincible, moi qui l'ai chargé de chaînes et qui triomphe aujourd'hui par sa mort. »
Paul reprit : « Afin que tu saches, ô César, qu'après que ma tête sera tombée sous le fer, je vivrai éternellement pour mon invincible Maître, et que toi, qui te crois vainqueur, tu n'es réellement que le vaincu, je t'apparaîtrai vivant après mon supplice, et tu pourras connaître que la vie et la mort dépendent de Jésus-Christ mon Seigneur. Car à lui appartient tout pouvoir et lui seul est le Roi invincible pour l'éternité. »
Après ces paroles, saint Paul fut emmené et réuni à saint Pierre pour marcher avec lui au supplice. En route, les officiers de Néron, qui s'appelaient Longin, Mégiste et Areste, interrogèrent Paul sur le Roi dont il parlait. Saint Paul leur parla avec tant de force et d'éloquence, que leurs cœurs furent touchés ; ils crurent en Jésus-Christ et ils supplièrent Paul de les recevoir comme chrétiens, pour échapper aux flammes de l'enfer et partager sa gloire.
« Père, nous te rendrons à la liberté, dirent-ils, et nous t'obéirons et te suivrons partout jusqu'à la mort.
- Mes frères, répondit Paul, je ne suis pas un déserteur de l'armée de mon Seigneur Jésus-Christ, mais un soldat soumis à ses lois. S'il ne s'agissait que de mourir sans arriver par la mort à la vie et à la gloire éternelles, j'accepterais votre offre de me rendre à la liberté ; mais, après tous les travaux que j'ai soufferts avec joie, il me reste à recevoir la couronne de la victoire, des mains de celui à qui j'ai donné ma foi. J'ai l'assurance que je vais à lui et que je viendrai avec lui lorsqu'il apparaîtra dans la gloire et la splendeur du Père et des Anges, pour juger te monde. C'est pourquoi je méprise la mort, et je ne puis écouter le conseil que vous me donnez de fuir. »
Martyre de saint Paul, Chapitre LXI des Actes des Apôtres,
Comtesse Rostopchine de Ségur, Paris, 1867
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