Lettre pastorale des Évêques du chemin de Saint-Jacques en France et en Espagne
Accueil et hospitalité sur le chemin de Saint-Jacques
Introduction
1. Sur les chemins de pèlerinage, comme celui de Saint-Jacques, l'hospitalité, humaine et spirituelle, est offerte à de nombreux hommes et femmes «qui cherchent Dieu, secrètement poussés par la nostalgie de son visage» (Pape François, Evangelii gaudium, n° 14). Les lieux d'accueil ne sont-ils pas les vrais espaces de communion de l'Église, l'endroit privilégié de la rencontre entre deux cœurs qui se cherchent mutuellement ? Celui de Dieu qui cherche l'homme, et celui de l'homme à qui manque l'essentiel, son désir de plénitude. Ainsi, quand les blessés de l'âme entreprennent de longs pèlerinages à pied, à cheval ou à bicyclette, ils aspirent à trouver l'espoir, l'équilibre et un sens à leur vie, ils pressentent qu'une porte s'ouvrira, la porte de la miséricorde dont le nom est : hospitalité. C'est ainsi que dans la parabole du fils prodigue, le père attend patiemment le retour de son fils cadet qui est parti vivre une vie de désordres : de loin, «il le vit et fut touché de compassion» et, sans préalable, sans conditions, sans méfiance, le Père, l'hôte divin, « courut se jeter à son cou et l'embrassa» (Lc. 15,20). Quand s'ouvre la porte du pardon, toute douleur et tout désespoir commencent à se dissiper.
Le pèlerin se façonne sur le Chemin dans la rencontre avec lui-même : il s'est mis en marche, a abandonné ses lieux coutumiers et son entourage, taraudé par un désir profond, parfois confus et inexprimable, de rencontre et de communion. Pourra-t-il expérimenter cette communion avec ceux qui marchent à ses côtés et ceux qui l'aident à avancer, grâce à la présence providentielle de Jésus et de l'ami du Seigneur, l'apôtre Jacques, auprès de lui ?
Rappelons que la tradition du pèlerinage est de partir de chez soi, il sera donc, possible de demander à son curé ou l'évêque de son diocèse, une bénédiction ou une remise de créantiale. Cela permet de faire un lien entre le pèlerinage et la paroisse pour un meilleur vécu de l'après-pèlerinage et permettant ainsi au pèlerin de comprendre que le pèlerinage se poursuit d'une autre manière, dans la vie paroissiale.
L’hospitalité
2. L'hospitalité, dans sa dimension anthropologique, est une tradition ancrée à toutes les époques et dans toutes les civilisations. L'hospitalité est philo-xenia, amour de l'étranger. L'hospitalité est ainsi un thème récurrent dans l'Odyssée d'Homère, où Zeus lui-même est hospitalier. Dans l'Antiquité classique, «l'hospitalité suit des règles très précises. On doit offrir à l'étranger un bain et des vêtements propres. On doit l'asseoir à sa table, ce qui est la meilleure façon de montrer son intégration provisoire dans la communauté, et le faire participer au banquet en l'honorant d'une part choisie. On doit, enfin, offrir un «cadeau d'hospitalité» (doron), qui est parfois confondu avec le repas, puis lui donner les moyens nécessaires pour qu'il rentre chez lui» (Suzanne SAÏD, Homère et l'Odyssée, Paris, Belin, 1998).
L'hospitalité est l’accueil du voyageur, de l'étranger, de celui dont on ne sait rien. Ni qui il est, ni d'où il vient, ni ce qu'il cherche. Nous savons seulement qu'il s'agit d'un passant, seul, loin de sa maison et de sa famille. Peut-être, comme Jacob (Gn 28,11-19), se sent-il seul dans le monde, mais dans la perspective de Dieu c'est un fils bien-aimé, appelé à découvrir une vie nouvelle, même s'il l'ignore.
L'hospitalité n'est pas le questionner, le juger, mais seulement l'accueillir, lui donner à boire et à manger, un lit, de l'argent pour le voyage, des mots d’encouragement et d’orientation. C’est l'hospitalité qu'offre Abraham aux trois inconnus qui s'arrêtèrent à Mambré devant sa porte (Gn 18, 1-5). Ou celle dont firent preuve Laban en recevant avec honneur le serviteur d'Abraham (Gn 24, 28-32), et Lot quand il fait entrer chez lui les anges (Gn 19, 1-8). À Sunam, Élisée fut invité par une Sunamite à rester pour manger, et finalement à s'installer dans une petite chambre qu'elle avait fait préparer pour lui sur sa terrasse (2 R. 4: 8-10, 13). C'est la miséricorde dont témoigna le Samaritain quand il recueillit le blessé, le conduisit à une auberge, et laissa de l'argent pour qu'on le soignât et qu'il pût récupérer le temps nécessaire (Lc 10, 25-37).
L’Évangile de l’hospitalité ou « l’hospitalité au cœur de l’Évangile »
Dans l'Ancien Testament, la prescription de l'hospitalité (Lv. 19, 34) suit celle de l'amour du prochain (Lv. 19, 18). C'est ainsi que Dieu a voulu demander pour son Fils Jésus l'hospitalité à une jeune vierge de Nazareth, Marie. Depuis lors, l'hospitalité offerte à l'étranger, à l'inconnu, à celui qui vient d'ailleurs, pratiquée comme un devoir sacré par de nombreuses sociétés traditionnelles, est devenue une grâce divine, une bénédiction. Jésus fait de cette dernière prescription un commandement majeur : «Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit. Voilà le plus grand et le premier commandement. Le second lui est semblable : tu aimeras ton prochain comme toi-même» (Mt. 22, 37). Voici ce que nous enseigne Jésus de façon synthétique et récapitulative de toute la Loi. L'accueil de l'étranger ou du pèlerin n'est plus alors une prescription comme les autres mais les prémices de l'amour du prochain en devenant vertu de charité. Jésus, l'hôte, image de tous les hospitaliers et bénévoles, personnifie cette grâce et récapitule en lui la relation d’accueil réciproque : accueillez-vous les uns les autres, comme je vous accueille !
3. L'hospitalité bénéficie d'une longue tradition le long des Chemins de Saint-Jacques. Institutions privées, villes, hôpitaux, auberges, réfectoires furent créés pour offrir au voyageur « l’hospitalité ». Elle ne fut pas toujours la meilleure ni la plus souhaitable, et la réputation des aubergistes incluait leur avarice, les tromperies commises, le manque de compassion envers les pauvres ou les malades. Depuis des décennies que le Chemin est à nouveau parcouru, les initiatives ont aussi réapparu et les gestes d'hospitalité se multiplient. Ce sont tout d'abord les habitants des villages qui offrent un verre d'eau, une pomme, un endroit où se reposer. Il faut aussi signaler les institutions et les associations qui ouvrent des gîtes, accueillent dans leurs demeures, et ne demandent que «la volonté » ou que ce qui est nécessaire pour maintenir l'endroit, négocient avec les hôtels et les restaurants pour qu'ils proposent des prix accessibles aux pèlerins.
4. En quoi «l'hospitalité chrétienne» se distingue-t-elle ou peut se distinguer de la simple «hospitalité»? Suffit-il, pour qu'elle existe, de se déclarer sans plus « hospitalier chrétien »? L'hospitalité chrétienne est-elle conçue comme concurrente, comme rivale des autres ? Comme un parcours parallèle qui ne veut pas se mélanger à celui qui existe ? Le chrétien ne doit-il pas être le levain dans la pâte ? Le chrétien se sent-il supérieur aux autres parce qu'il gère, ou accueille dans, un gîte « chrétien »? Comment réaliser un véritable « accueil chrétien» sans écarter les autres, sans s'enfermer dans une tour d'ivoire ?
5. La présence chrétienne sur le chemin est essentielle pour conserver la tradition religieuse du grand pèlerinage à Saint-Jacques de Compostelle et y être des témoins actifs de la foi en Jésus-Christ : n'est-on pas là en fait sur un terrain privilégié d'évangélisation, grâce à l'accueil personnel, l'offre culturelle et la liturgie sacramentelle ?
Les signes extérieurs de l'hospitalité chrétienne doivent être visibles dans les gîtes sans être exagérés. Il doit y avoir des crucifix à l'entrée et dans les salles. Une image de l'apôtre saint Jacques et des brochures qui expliquent sa vie. Une image de la Vierge, qui soit si possible la représentation d'une Vierge locale. Des Bibles (dans diverses langues) et, si l'on veut, des exemplaires des derniers textes des papes. Mais également des guides du Chemin, des guides locaux indiquant les monuments à visiter, l'annonce des fêtes locales, des neuvaines en diverses langues, des journaux, et aussi des informations relatives à la ville de Saint-Jacques de Compostelle, but du pèlerin (horaires des offices religieux, de l'Accueil et des liturgies spécifiques, en plusieurs langues, pour la rencontre finale du pèlerinage, horaires et plan du Bureau du Pèlerin, adresses de gîtes où loger plusieurs nuits, musées et monuments à visiter, etc.).
S'il y a une église non loin du gîte, qu'elle serve de lieu de prière. L'hospitalier chrétien, avec l'aide des paroissiens locaux, se chargera, en accord avec le curé, de la maintenir ouverte aux heures nécessaires et invitera ses hôtes à s'y rendre pour contempler et méditer. Lorsque ce sera possible, on y fera des vêpres, une messe du soir et/ou une bénédiction du pèlerin à son départ ; et l'on offrira le sacrement de la Pénitence à celui qui le demande. L'hospitalier chrétien annoncera les heures d'ouverture de l'église et les offices aux autres hospitaliers (non « chrétiens ») au cas où ils accueilleraient dans leurs gîtes des pèlerins intéressés. S'il y a un prêtre parmi les pèlerins, on lui demandera de célébrer et cela sera annoncé pour que les habitants du lieu puissent y participer.
6. Lieux privilégiés de la rencontre avec Celui qui invite à partir en pèlerinage et qui accompagne de Sa présence le pèlerin en marche, les sanctuaires du chemin et les églises offrent l'opportunité de se ressourcer. N'est-ce pas l'occasion de « refaire le plein » de grâces, contemplant le Christ en Sa présence réelle en compagnie du saint vénéré localement ?
Il est du devoir des paroisses de faciliter l'accès à ces maisons de Dieu et de prière, pour que tous les « passants » puissent y trouver refuge, paix et consolation. Ne conviendrait-il pas que l'on puisse y trouver des informations, des livrets d'intentions, et même un endroit particulier préparé pour la prière (chapelle dédiée à saint Jacques, statue de saint Jacques, cierges, textes de prière...) ?
L’hospitalité dans les maisons religieuses et les monastères
7. La tradition hospitalière monastique se trouve déjà dans la Règle de saint Benoît du début du vie siècle. Le chapitre 53, traitant « de la réception des hôtes », indique trois vertus pour l'exercice de l'hospitalité : la charité, l'humilité et l'honnêteté. Cette délicatesse consistant à recevoir l'invité comme une Bonne Nouvelle survenant dans le quotidien de l'hospitalier ne saurait être une simple politesse issue d'un manuel de savoir-vivre ni une gentillesse convenue pour contentement personnel. La survenue du nécessiteux, occasion de miséricorde et de charité, n'est-elle pas une contribution à l'économie du salut (Mt 25) ? L'évocation de Jésus invité par Zachée ne nous indique-t-elle pas l'enjeu profond de l'hospitalité : «Aujourd'hui, le salut est entré dans cette maison» (Lc. 19, 9) ?
L'hospitalité chrétienne la plus visible est celle qu'offrent monastères et presbytères. De nombreux pèlerins les recherchent et les apprécient. Il faut l'accroître et la faire bénéficier d'aides spécifiques. Peut-être en recourant à des hospitaliers et hospitalières bénévoles.
Ils proposeront à leurs hôtes de suivre les offices religieux ou monastiques et de garder le silence. Dans certains cas ils pourront partager leur table avec les pèlerins ou avec les pèlerines, selon qu'ils seront réguliers — cela dépend alors de leur règle — ou séculiers. Ou proposer un échange particulier pour expliquer leur vocation et écouter le voyageur. Il y aura pour cela dans tous les monastères un moine ou une moniale exclusivement consacrés à l'Accueil des Pèlerins, afin que quelle que soit l'heure de leur arrivée au monastère ils puissent être accueillis comme le Christ lui-même.
Aux lectures habituelles s'ajouteront des brochures ou des livrets qui expliquent le pèlerinage à Saint-Jacques et ce que le pèlerin trouvera en y arrivant, des opuscules sur l'ordre auquel appartient le monastère, son histoire et celle de ses occupants, ou ce qu'est le sacerdoce dans le cas des presbytères.
L’hospitalier chrétien
8. Le simple fait d'être baptisé et d'être un catholique pratiquant ne suffit pas pour être un «hospitalier chrétien». Une formation est nécessaire qui permette d'approfondir sa propre foi : Suis-je capable de parler de Dieu ? Et avec simplicité de cœur et cohérence de vie devant Dieu ?
L'hospitalier devra répondre à des questions très variées sur les fondements de sa foi - de sérieuses réflexions s'imposent sur chaque paragraphe du Credo et du Pater noster -, sur l'Église - son histoire, son administration, son rôle, ce qui la différencie des autres -, sur ce qu'est la religion, sur la morale.
9. L'hospitalier chrétien n'est ni un journaliste ni un psychologue. Les journalistes exigent des réponses immédiates, des opinions dans la foulée, que celui qui est interviewé donne, sans réfléchir, ses impressions sur ce qui vient de se passer, qu'il le fasse « à chaud». S'imposent l'immédiateté et, par conséquent, l'irraisonnable. Demander au voyageur, à celui qui est en chemin, qui n'a pas terminé son parcours, qu'il parle de son expérience, lui faire mettre des mots sur ce qui appartient encore à l'indicible, sur ce qui doit être pensé, mûri, réfléchi, c'est rester - et faire rester l’autre - à la superficie des choses. C'est déjà ce que font ceux qui racontent, presque minute par minute, leur parcours sur les réseaux sociaux. Comme l'exprime Fabrice Hadjadj : «Quand on croit que la pensée existe en dehors de la parole, et que la parole n'est qu'un moyen d'exprimer cette pensée, très vite, l'important n'est plus ce que l'on pense, mais ce que l'on ressent. Le démocratique bienfaiteur semble vous arranger un espace de dialogue en vous commandant : « Exprime-toi ! » En vérité, il vous interdit d'être contemplatif ou méditatif »(Fabrice Hadjadj, Comment parler de Dieu aujourd'hui ? Anti-manuel d'évangélisation, Paris, Salvator, 2012, § 32, p. 81.).
10. L'hospitalier chrétien n'est pas non plus un psychologue ou un assistant social qui, désireux de mettre en pratique la maïeutique, s'efforcera de faire parler l’autre de lui-même et de parvenir à formuler des notions que son interlocuteur ignorait ou n'avait jamais exprimées. Tout le monde n'est pas Socrate. Et le fait d'imposer un dialogue, qui commence généralement par « Raconte-moi tes impressions », ou « Dis-moi pourquoi tu fais ce chemin », ou « Le Chemin t'apporte-t-il ce que tu en attendais au départ ? », donnera seulement lieu à des réponses immédiates : les ampoules aux pieds, le mauvais accueil dans le gîte X, qu'il y a trop de monde sur le Chemin, qu'on a fait la connaissance d'un couple australien sympathique...
L'hospitalier chrétien doit témoigner de sa foi d’au moins deux manières. En premier lieu, par l'exemple. Et pas seulement par le fait d'être dans un gîte « chrétien ». Son accueil doit être ouvert, fraternel et joyeux pour tous ceux et n'importe lequel de ceux qui arrivent, sans distinctions, même si le voyageur est de mauvaise humeur, a mauvais caractère, sent mauvais, est même agressif. Dans chaque pèlerin qui apparaîtra, l'hospitalier verra le Christ, verra l'œuvre du Créateur, et il l'accueillera dans sa maison. Avec joie car la foi ne doit pas être triste, bougonne ou déprimante. L'hospitalier méditera le gaudium de l'Evangelii gaudium et la laetitia d'Amoris laetitia parce que la lumière - la Lumen fidei - doit illuminer et non pas rendre triste.
11. Au cours de l'Audience Générale du 22 février 2017, le pape François a dit :
« Le chrétien ne vit pas en dehors du monde, il sait reconnaître dans sa propre vie et dans ce qui l’entoure les signes du mal, de l’égoïsme et du péché.
Il est solidaire avec celui qui souffre, avec celui qui pleure, avec celui qui est exclu, avec celui qui se sent désespéré...
Mais, dans le même temps, le chrétien a appris à lire tout cela avec les yeux de la Pâque, avec les yeux du Christ ressuscité.
Et alors, il sait que nous vivons le temps de l’attente, le temps d'une aspiration qui va au-delà du présent, le temps de l'accomplissement.
Dans l'espérance, nous savons que le Seigneur veut guérir définitivement par sa miséricorde les cœurs blessés et humiliés et tout ce que l'homme a défiguré par son impiété, et que, de cette manière, Il régénère un monde nouveau et une humanité nouvelle, finalement réconciliés dans son amour ».
12. Les auteurs des sermons du Livre I du Codex Calixtinus disaient que saint Jean représentait la caritas, l’amour, saint Pierre la fides, la foi, et saint Jacques était spes, l'espérance.
Dans sa marche vers Saint-Jacques, le marcheur, l'étranger, doit sentir qu'il est en marche vers l'espérance. Chaque étape le rapproche de l'espérance. Chaque hospitalier est un témoin de cette espérance. De l'amour de Dieu, du pardon du péché, de l'humanité rachetée. Sa façon d'être, les modalités de son accueil, la joie profonde qu'il doit irradier témoignent de sa foi.
L'hospitalier témoignera aussi de sa foi en écoutant le pèlerin si celui-ci désire parler. Il ne forcera en aucun moment ce désir de s'exprimer. Et, après avoir écouté, il n'en profitera pas pour se transformer en journaliste ou en psychologue. Il invitera le pèlerin à méditer, à rester en silence, à chercher la réponse en son for intérieur. Beaucoup de pèlerins aspirent au silence car dans la vie quotidienne dominent les paroles, les dialogues de sourds, les bavardages, un incessant bruit de fond. Le regard avec lequel l'hospitalier aura accueilli ce pèlerin, cet envoyé de Dieu, l’aidera à chercher en lui-même l'Autre, le Christ.
13. Naturellement, l'hospitalier ne refusera pas de répondre si on lui pose une question directe : Qu'est-ce que Dieu ? Qui est Dieu ? Crois-tu en Dieu ? Pourquoi ? Et il sera également capable de répondre si on lui demande : Qui est saint Jacques ? Est-il enterré à Compostelle ? Pourquoi ? Que signifient les diverses représentations de l'Apôtre ? L'hospitalier poursuivra ainsi la mission de l'Apôtre, il se fera apôtre de l'Évangile conscient de suivre les pas de l'un des Douze.
14. « Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement » (Mt 10, 8): il est recommandé que les gîtes chrétiens soient de donativo ou que le prix en soit extrêmement accessible. L'expérience personnelle du pèlerinage prédispose les hospitaliers à se porter volontaires, pour « rendre un peu du service qu'ils ont reçu » eux-mêmes durant leur marche, à connaître les besoins des pèlerins et à transmettre l'esprit catholique de cette démarche. Havres de paix et de bienfaisance, les hospitalités chrétiennes, parfois véritables « hôpitaux de campagne », selon l'expression du pape François, devraient être les «maisons-témoins» de l'Église où souffle l'Esprit de paix, l'Esprit de joie et d'amour.
La tâche des hospitaliers, de chaque hospitalier, tout au long du Chemin de Saint-Jacques amènera progressivement le pèlerin à méditer, à se retrouver lui-même, à découvrir Dieu en son for intérieur : « La conversion, bien que le discours du prédicateur y dispose, n'est pas une conviction engendrée par ce discours, mais une libre rencontre entre l'auditeur et le Christ, qui se dérobe au prédicateur lui-même » ( Fabrice Hadjadj, Comment parler de Dieu aujourd'hui ?..., § 55, p. 136.). Afin qu'en arrivant au but, lorsque s' achèvera sa longue errance, le pèlerin trouve l’espérance et, en recevant les sacrements, comprenne au plus profond de son être le sens de « Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie ; personne ne va vers le Père sans passer par moi » (Jn 14, 6).
Quelques conclusions dont il faut tenir compte
15. En tant que pasteurs, serviteurs d'une Église samaritaine, à l'orée des chemins de Saint-Jacques d'Espagne et de France, nous faisons nôtres les paroles du pape François lors de sa première homélie dans la basilique Sainte-Marie-Majeure pendant l'eucharistie qu'il célébra comme évêque de Rome, lorsqu'il dit : « je suis un pèlerin et je veux être parmi les pèlerins » (Pape François, Homélie de la première messe célébrée comme évêque de Rome, 15 mars 2013).Telle est la proposition que nous faisons, pour nous et pour tous les hospitaliers et bénévoles qui avez mis votre cœur à cette belle tâche évangélisatrice de notre époque.
La vie, a dit le Saint Père, est faite pour cheminer, pour faire quelque chose, pour aller de l’avant (Pape François, Discours aux pèlerins de la 38e édition du pèlerinage à pied de Macerata à Loreto, en Italie, 11 juin 2016). Tant que nous vivons sur cette terre, nous pérégrinons vers ce but final et nous pouvons constater que notre cœur n'est pas pleinement satisfait des seuls buts que nous nous proposons dans notre vie ici-bas. François affirme ainsi que notre expérience consiste en chercher toujours quelque chose de plus. Quelque chose qui comble notre cœur de plénitude, d’amour, de beauté, de paix et de force intérieure. Car nous pérégrinons en cherchant Dieu pour qu'il emplisse notre vie de cette plénitude.
16. Cheminer est donc, pour François, être en mouvement, s'en aller, sortir de la quiétude qui devient commodité paralysante et attente passive, routinière, formaliste, et avancer libres de conditionnements pour « lire avec réalisme les événements » existentiels (François, Homélie de la messe d'inauguration du Ministère Pétrinien, 19 mars 2013). Le pape considère par conséquent que la vie est un chemin dont nous ignorons à quel moment il s'achèvera, mais qui est un chemin. On ne peut vivre sa vie en étant arrêtés. La vie est faite pour marcher, pour faire quelque chose, pour aller de l'avant, pour construire une amitié sociale, une société juste, pour proclamer l'Évangile de Jésus (François, Discours aux pèlerins de la 38e édition du pèlerinage à pied de Macerata à Loreto, en Italie, 11 juin 2016).
Dans tout pèlerinage, nous dit François, beaucoup d'expériences sont vécues : l'enthousiasme pour atteindre le but, la joie, la fatigue, l'espérance, l'incertitude, le sacrifice, le doute, la douleur... Il faut de la volonté et des efforts pour l'effectuer. C'est en outre une expérience de miséricorde, de partage et de solidarité avec celui qui fait le même chemin, ainsi que d’accueil et de générosité de la part de celui qui reçoit et aide les pèlerins (François, Homélie de la messe d'inauguration du Ministère Pétrinien, 19 mars 2013; Message aux Académies Pontificales à l'occasion de l'Assemblée Plénière «Ad Limina Petri», 11 novembre 2015).
17. L'expérience du pèlerinage est vue par le pape comme un grand symbole de la vie humaine et chrétienne. Chacun de nous peut être « errant » ou « pèlerin ». L'époque que nous vivons voit beaucoup de personnes « errantes », car elles sont privées d'un idéal de vie et souvent incapables de donner un sens aux événements du monde. Par le signe du pèlerinage, nous montrons la volonté de ne pas être « errants ». Notre chemin se situe dans l'histoire, dans un monde où les frontières s'élargissent toujours davantage, où de nombreuses barrières tombent et nos chemins sont liés de manière toujours plus étroite à celui des autres (François, Discours aux participants au pèlerinage de l'ordre équestre du Saint-Sépulcre de Jérusalem, 13 septembre 2013). S.S. François affirme que dans le pèlerinage nous pouvons rencontrer Die en vivant une intense vie spirituelle qui se concrétise dans les moments forts de la prière et dans l'expérience de Sa présence dans notre vie quotidienne ; et ainsi, toute situation, qu'elle soit de douleur ou de joie, prend sens, lorsque nous découvrons ce qu'Il veut nous dire en elles.
La vie est, en définitive pour le pape, un pèlerinage et l'être humain est viator, un pèlerin qui parcourt son chemin jusqu'à atteindre le but désiré (François, Misericordiae Vultus, n° 14).
Avec Marie et les Saints
18. Notre réflexion au sujet du Chemin de Saint-Jacques resterait incomplète si nous ne mentionnions pas la Vierge Marie, même si ce n'est pas ici le lieu adéquat pour en parler avec l'ampleur nécessaire. En Marie s'insère et débute le pèlerinage du Fils dans le monde et, par conséquent, la vérité de l'incarnation et de la rédemption est liée à la vérité de Marie.
En tenant compte de l'ensemble du phénomène jacquaire, nous pouvons affirmer que l'acmé des pèlerinages coïncide avec l'âge d'or de la dévotion mariale en Occident. La théologie, l'iconographie et le culte marial, profondément ancrés dans la chrétienté orientale, passent aussi en Occident avec une force croissante, renouvelés par la rencontre entre les nouveaux peuples chrétiens : Francs, Latins, Germains, Celtes et Slaves, convertis au christianisme et dont le lien le plus permanent est le Chemin de Saint-Jacques.
C'est ainsi que l'ont vécu tant d'hommes et de femmes qui, au cours des siècles, ont senti la protection de la Mère dans leur cheminement vers la tombe de l'Apôtre. À Compostelle fut chanté le Salve regina puis ce seront les pèlerins français qui offriront cette prière aux pèlerins qui font le Camino Francés. En témoignent les diverses invocations mariales tout au long du Chemin : Notre-Dame du Puy, Rocamadour, Roncevaux ou la Vierge du Chemin. Invoquons Marie, icône de l'hospitalité, pour tous les hospitaliers et ceux qui, d'une manière ou d'une autre, pratiquent l'accueil des pèlerins sur les chemins du sanctuaire de Saint-Jacques de Compostelle (M. Cuende -D. Izquierdo, « Maria en el Camino de Santiago », Estudios Marianos, 60 (1994), pp. 179-197) :
Ô Marie, Toi qui a accueilli en ton sein le Verbe fait chair, ouvre le cœur des hospitaliers du chemin pour qu'en recevant pèlerins et déshérités, ils se rendent compte que c'est « en eux le Christ lui-même qu'on reçoit » et qu'ils « adorent en eux le Christ lui-même qu'on reçoit » (Règle de saint Benoît. Réception des hôtes).
Ô toi, Notre Dame, la première en chemin
réjouis-toi de tous les pèlerins
marchant vers Compostelle et d'autres sanctuaires.
Aide-les en chemin Qu'aucun ne désespère !
Une blessure souvent les a mis en chemin.
Accompagne les deuils et soulage les peines
Éclaire leurs parcours et conseille leurs choix
comme la mère donnée par Jésus sur la croix.
Toi qui fus attentive aux besoins de l'époux
et dis aux serviteurs de faire ce qu'il dira
regarde avec bonté cette foule diverse
qui marche vers Saint Jacques sans savoir qui il est.
Que par Toi les marcheurs deviennent pèlerins !
Éveille les esprits et que chacun découvre
cette petite flamme au plus profond de lui
reflet du Créateur, lumière pour la vie.
Que Jacques, au dernier jour, accueille chacun d'eux.
Au milieu des étoiles, tout au bout du chemin.
Tu seras là aussi sainte Vierge Marie,
la première en chemin, tu nous as devancés.
Nombreux sont les pèlerins qui ont été élevés sur les autels comme saints et bienheureux. Ils sont comme des phares de lumière qui nous invitent à la sainteté de la vie, comme écho et but du pèlerinage à Saint-Jacques.
Citons seulement quelques exemples : saint Dominique de la Chaussée (Domingo de la Calzada), saint Godric de Finchale, saint Guillaume de Montevirgine, saint Jean d'Ortega, saint Alleaume, sainte Bonne de Pise, saint Martin de León, bienheureux Ange de Gualdo, bienheureux Raymond Lulle, sainte Élisabeth de Portugal, sainte Brigitte de Suède, saint Amaro (de Burgos), saint Benoît-Joseph Labre, saint Jean-Paul II ou le dernier pèlerin canonisé : saint Aimé Ronconi.
Avec nos remerciements, bénédiction et prière pour que, tous, nous atteignions un jour le Portail de la Gloire et que Jésus nous reconnaisse comme pèlerins de monseigneur saint Jacques.
Compostelle, 12 juillet 2017
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